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Saint Paul de Vence au temps de la Première Guerre Mondiale
Voici un article que j’ai écrit pour la gazette municipale de Saint Paul de Vence en 2018 à l’occasion de la célébration du centenaire de la Grande Guerre.
J’ai souhaité partager une période de la vie de mon arrière-grand-mère Albertine qui était alors écolière au village. Nous avons la chance d’avoir retrouver ses cahiers d’école dans la cave d’un aïeul. Ils sont dans un excellent état de conservation et représentent un précieux témoignage de la vie locale pendant cette période sombre de l’histoire de nos aïeux.
A cette époque, le village s’appelait encore Saint Paul du Var (nom conservé malgré l’intégration du village dans le nouveau département des Alpes-Maritimes en 1793)
Le centenaire de la grande guerre s’est achevé alors que notre pays commémore depuis 4 ans cette sombre période à travers l’étude d’archives et l’organisation de manifestations diverses. Le souvenir des grandes batailles meurtrières, de la souffrance des soldats dans le quotidien des tranchées, de la vie difficile de la population française et du traumatisme laissé derrière, a été évoquée au fil de ces actions.
Une épreuve nationale qui n’épargna aucune famille, ni aucun territoire. Pour la survie de la patrie, dans des conditions souvent inhumaines, les soldats se sont battus, au-delà de leur propres limites. Les femmes, les mères, les enfants ont accompagné les combats en faisant vivre, jusqu’à la victoire, nos villes et nos villages de France.
Dans les écoles communales, on enseignait déjà aux plus jeunes, les valeurs de la patrie. A Saint-Paul, Albertine Garcin, villageoise alors agée de 10 ans en 1917, fréquentait la classe de Mlle J. Casteu, institutrice de l’école des filles qui enseignait à une dizaine d’élèves des matières traditionnelles et d’autres leçons, aujourdh’ui oubiées des manuels scolaires : leçons de chose ou encore l’enseignement ménager.
A cette période, l’école des filles se trouve dans l’enceinte du village, devant le rempart sud-ouest Courtine sainte Mitre (actuel Espace Verdet) près de la porte de Nice qui mène au cimetière, alors que l’école de garçon se situe à droite de l’église, dans les locaux de l’actuel CCAS.
Les compositions françaises de l’époque sont d’étonnants témoignages de ce passé en guerre ; elles véhiculent la ferveur patriotique qu’on se devait d’enseigner aux écoliers : « Hommage aux soldats », « La boue de France », « Le Drapeau », « La mère de celui qui déserte ».
Les rédactions de l’écolière nous replongent dans ce passé Saint-Paulois, vu par le regard d’une enfant :
« La commune que j’habite s’appelle Saint Paul. Vu de la Colle, Saint-Paul ressemble à un grand bateau avec ses deux grandes cheminées. Il est situé sur un plateau. Les rues sont étroites et tortueuses. Il y a dans ces rues des vieilles maisons avec des portes sculptées et très belles.
Les boutiques sont dans le village, elles sont propres et bien tenues ; tout est bien rangé. Il y a deux belles places : la place de la Mairie et la place de l’Eglise. Avant la Révolution, la mairie était attachée à l’église. C’est un chateau féodal.
Maintenant, au plus bas du village, il y a une très grande place entourée de marronniers ; avant la guerre, on célébrait la fête de la sainte Claire. Les monuments sont les remparts qui sont autour du village, le portail à l’entrée du village et une très belle fontaine.
Les habitants sont habillés à l’ancien temps, les jeunes sont habillés à la mode. Les vieilles portent les vieux costumes et les béguins tuyautés à la provençale. Les habitants de mon pays parlent tous le patois provençal. J’aime bien mon village. »
Saint-Paul du Var était une petite commune rurale où le travail de la terre et l’artisanat permettaient aux habitants de se nourrir un peu mieux qu’à la ville pendant cette période de restriction.
La création du tram au début du XXe siècle a permis le désenclavement du village et le commerce des produits locaux.
« J’habite la commune de Saint-Paul. Papa va trois fois par semaine à Nice, vendre les denrées : les artichauts, les ails, les navets, les carottes, les oignons, les tomates, les pommes de terre, etc. Les revendeuses viennent toutes sur les corbeilles. En revenant il achète des chaussures ou des étoffes pour nous faire des robes.
On se rend à Nice en voiture, en tram, en chemin de fer, avec la charette… Quand le cheval est un peu fatigué, nous allons avec le tram.
Pendant les vacances l’année dernière, je suis allée à Nice avec maman et papa. Nous sommes partis à minuit de la maison. Nous sommes allés prendre le tram à Cagnes. Quand nous sommes arrivés à Nice, c’était encore nuit. C’était très beau de voir la ville avec le gaz allumé. »
En 1918, quasiment toutes les familles avaient vu partir un mari, un fils ou un frère au combat. Personne n’était épargné, on connaissait forcément quelqu’un qui ne reviendrait pas du front. L’attente d’une lettre était insoutenable pour les proches.
« Depuis plusieurs jours, maman n’avait pas reçu de nouvelles de papa et nous étions dans l’inquiétude. Les voisins demandaient toujours à maman si elle avait des nouvelles et maman ne sachant que répondre, pleurait toute la journée. Le matin, je balayais devant la porte. Quand le facteur passait, je lui demandais s’il n’y avait pas de lettre pour nous. Il me disait qu’il n’y a pas de lettre pour Mme Garcin. Maman croyait qu’il était mort, qu’il était disparu ou qu’il était prisonnier.
Jeudi matin, j’allais laver le torchons pour frotter par terre. Je vois le facteur mais sachant qu’il me répondrait non, je ne lui ai pas demandé. Alors il m’appelle et me dit « Tiens petite Albertine, une lettre de ton papa. » Je suis vite allée la porter à la maison et je l’ai lue. Tout le monde s’est réjoui, on s’est embrassé. Maman a pleuré de joie puis s’est mise à rire. Nous avons tous été très contents de recevoir des nouvelles de Papa. »